Gênes, sur la côte ligure, est une ville étonnante. Loin du charme riant des grandes cités italiennes, c’est un romantisme chaotique, fait de confrontations et d’ambiguïtés, qui s’y exprime.
Son centre ancien, l’un des plus étendus et des plus denses d’Europe, apparaît comme un labyrinthe étroit, propice aux rencontres inattendues et aux chocs visuels.
Mais l’un de ses lieux les plus étranges est l’immense cimetière de Staglieno, gigantesque miroir des vanités de la bourgeoisie génoise, qui épouse le relief montagneux selon la même stratégie que la ville toute proche.
Dans sa partie basse, il se présente comme un dédale de galeries construites ou souterraines, mêlant cloitres et catacombes, les sépultures occupant chaque mètre carré de sol, de mur, de toiture. Là, les familles les plus en vue ont rivalisé d’inventivité pour constituer l’un des plus grands ensembles statuaires d’Europe : réalisme, symbolisme, romantisme, brutalisme…
Dans sa partie haute, il devient un parc paysager, avec de grandes allées en balcon sur le Val Bisagno alignant des mausolées de tous styles.
Parmi ces mausolées, l’un deux a retenu mon attention : le mausolée de la famille Ferrari. Installé dans la pente, en hauteur, en second rang derrière un monument moderne qui bénéficie d’une exposition directe sur l’allée, et sans exubérance affichée, il reste très discret.
Tout d’abord, l’accès au lieu de sépulture familial s’inscrit dans un interstice entre le mausolée en front de rue et un épaulement de relief naturel. C’est un escalier de pierre et de béton qui aurait pu être une simple volée droite, mais qui a été construit délibérément en zig-zag, ménageant de petits espaces plantés.
De cette manière, et malgré la modestie de l’ouvrage, le cheminement proposé devient très dynamique, et les espaces plantés, qui pourraient être anecdotiques, raccrochent l’escalier à la lisière boisée voisine : ce qui était un simple ouvrage en béton se fait cheminement naturel en montagne.
Le travail de serrurerie des garde-corps est également à apprécier, car l’assemblage de simples fers plats y dessine une géométrie tridimensionnelle dynamique, faisant apparaître le motif de la croix latine par ailleurs absent du reste de l’aménagement.
Ensuite, le monument lui-même, contrairement aux chapelles environnantes, ne cherche pas à reproduire un ordonnancement architectural classique, à exprimer force et immémorialité : les minces plaques de marbre qui composent les façades, séparées par des joints creux, les cales en béton qui portent l’édicule en équilibre dans la pente, la toiture flottante décollée de la façade par un bandeau vitré, tout exprime une boîte légère et délicate, perméable à son environnement.
Le seul geste décoratif est un médaillon de mosaïque colorée figurant un chrisme, scellant façade et toiture comme le fermoir d’un coffret. Cette analogie renforce l’échelle mobilière plus qu’architecturale de l’édifice.
Enfin, l’aménagement intérieur de l’édicule confirme l’esprit perçu depuis l’extérieur : dans chaque pignon une porte entièrement vitrée laisse passer de part en part la vue et la lumière naturelle, faisant de la sépulture une séquence de la promenade dans le cimetière paysager, en contraste avec les chapelles environnantes, obscures et intériorisées.
Côté aval, un petit autel occupe le revers du médaillon de la façade, seule interruption du bandeau vitré ouvrant sur le paysage de la vallée. Côté amont, un simple mur de marbre poli intègre les tombes étagées des membres de la famille, reflétant la lumière de l’aval.
De cette manière la chapelle de la famille Ferrari apparaît tantôt, avec son mode constructif exprimé et la légèreté visuelle de ses éléments, comme un élément mobilier, tantôt, par sa situation retirée en hauteur sur le relief et sa grande perméabilité au paysage, comme une image de l’ermitage.
Mais elle est surtout l’illustration que la conjugaison d’une d’implantation contrainte et de second choix, de la sobriété esthétique, et de l’économie constructive peuvent malgré tout générer des espaces riches, dynamiques et porteurs de sens.